Thème 1 - Socialisations
Point de rencontre entre l’individu et la société, la notion de socialisation a fait l’objet de travaux qui ont infléchi sa définition dans un sens pluriel et complexe. Initialement posée comme une action « exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale », la socialisation est entrevue par E. Durkheim comme un processus visant à « susciter et développer (…) un certain nombre d’états physiques, intellectuels ou moraux que réclame (…) la société politique dans son ensemble et le milieu social auquel il est particulièrement destiné » (Durkheim, 1922). Reconsidérant avec acuité le dialogue entre personnalité et culture, les anthropologues culturalistes définissent davantage la socialisation comme l’incorporation par une sorte de conditionnement des traits saillants de la culture du groupe d’origine de chaque individu. De manière plus explicite, l’individu (entrevu à partir de ses étapes de développement) est relié au système social perçu autour de quatre impératifs (stabilité, intégration, buts et adaptation). P. Bourdieu (1980) offre un autre canevas d’étude du processus de socialisation : plaçant la notion de catégorie sociale au centre, il défend la thèse selon laquelle la socialisation serait un processus d’incorporation d’habitus, défini comme un système de dispositions durables et transposables mais aussi comme des structures structurées et structurantes.
Face à ces conceptions parfois considérées comme mécanistes et déterministes de la socialisation, d’autres courants privilégient une conception plus individuelle et (inter)active. Les recherches de J. Piaget, si elles recoupent celles d’E. Durkheim, s’en distinguent dès lors qu’il s’agit de mesurer et comprendre les processus effectivement en jeu et les étapes cognitives et affectives qu’ils présupposent : la socialisation renvoie alors à un processus discontinu dans lequel l’individu est actif et qui est en jeu de la petite enfance à l’âge adulte, permettant aux jeunes générations d’intégrer des règles, valeurs et signes tant par la contrainte que par la coopération. Le caractère actif du processus de socialisation est tout autant présent chez G.H. Mead. Pour ce dernier, la socialisation renvoie davantage à la construction d’une identité sociale par l’interaction et la communication corporelle notamment. P. Berger et T. Luckmann (1966) reprennent et prolongent les thèses de G.H. Mead en différenciant la socialisation primaire et la socialisation secondaire, la première résultant de l’immersion initiale de l’enfant dans son univers, la seconde de l’intégration de savoirs propres à des sous-mondes institutionnalisés, et ce, tout au long de son existence.
L’objectif est de comprendre la place des APSA dans les processus complexes de socialisation et leurs conséquences. Les théories développées par B. Lahire (1998), tant sur l’existence de modes de socialisation primaire et secondaire que sur l’existence d’identités complexes et plurielles (2004), permettent de dépasser le caractère réducteur du concept d’habitus et de reconsidérer sous un nouvel angle le dialogue entre l’individu et ses univers culturels et sociaux. Reposant sur des dimensions multifactorielles, la socialisation dans et par les APSA sera donc appréhendée par l’intermédiaire de plusieurs niveaux d’analyse permettant à la fois d’en mesurer la nature, les effets et les configurations conduisant les individus à se situer dans les espaces sociaux et culturels, tout en envisageant les formes de normalisation. Ce choix nous amènera à être particulièrement attentifs aux objectifs assignés aux dispositifs de socialisation : sanitaire, scolaire, associatif, médiatique, citoyen, identitaire ou communautariste.